Une Histoire de Vie
Michel Le Net
Il n’est pas question ici de brosser un plaidoyer pro domo sur les décennies passées. Une entreprise de cette nature, quelque peu égocentrique, serait naïve et déplacée. L’intérêt de ce témoignage est d’éclairer sur les circonstances qui ont conduit à la conception de l’œuvre.
Remontant au plus loin du temps, je me rappelle une attirance vers les idées de sagesse, puisées dans la littérature. Au collège, je compile les expressions qui s’y rattachent, glanées lors de mes lectures, pour l’essentiel d’origine gréco-romaines, avec quelques rares percées dans d’autres époques. Au lycée Saint-Louis, j’écris dans la lettre interne sur la bonne gestion des salariés. Je collectionne les ouvrages de citations, et prépare mon propre livre sur le sujet, Maïeutique… Puis, plongé dans les arcanes éthiciennes, je lui fais suite par le Bréviaire de l’Éthicien (Cercle d’Éthique des Affaires), tout un programme ! Qui dit fortes pensées, suppose auteurs de qualité. Plusieurs bibliothèques, dans mon lieu de vie, regroupent chacune une thématique particulière. Ainsi la pensée philosophique depuis son origine, comme les personnages majeurs qui ont marqué leur temps.
Du bien commun appliqué sur nos routes...
L’entrée dans la vie professionnelle me fait « tâter le terrain » en gérant des bases aériennes. J’approche la politique dans différents cabinets ministériels. Puis j’entre en résonance avec cette pulsion vers le bien commun en participant à la prévention des accidents de la route au sein de la Délégation à la sécurité routière (1972 / 75). Alors, la France se caractérise par plus de 17 000 morts sur les routes, le record du mal-faire parmi les nations développées. Question existentielle, vraie aujourd’hui dans son principe sur d’autres maux : comment amener nos compatriotes, férus de voiture et de liberté, à accepter les contraintes qui permettraient d’en réduire le nombre ? Deux solutions concomitantes répondent à l’énigme : persuader ; puis contraindre au final, vraiment en toute dernière extrémité. Le bon sens impose l’analyse du vécu comparable ailleurs. Puis, d’imaginer le comment adapter les mesures à prendre pour les faire accepter chez nous. À cette époque, la voiture porte en elle-même une charge émotive forte (La France, berceau de la bagnole ; symbole de la réussite ; de la liberté absolue). Elle représente la propriété intouchable de chacun. Qui lui veut du mal est voué aux gémonies. D’où le quotidien mortifère qui en est la conséquence.
Mais il est une vérité universelle. À l’instant de disparaitre, un réflexe de survie sauve certaines espèces condamnées par leur faiblesse reconnue. Sans vouloir rattacher le massacre sur nos routes à notre survie terrienne, il n’empêche qu’une conjonction de circonstances heureuses nous rapproche davantage de Jeanne d’Arc que du Titanic. Un Président d’une sature reconnue (Georges Pompidou). Un Premier ministre exceptionnel (Pierre Messmer). Christian Gérondeau, au récent passé professionnel novateur, est nommé Délégué général à la sécurité routière. Quittant le Cabinet du secrétaire d’État au logement, je le rejoins sur cet ambitieux projet d’assagir les Français sur leurs routes. L’opération est lancée. Un tour du monde initiatique est le préalable à l’action, qui permet de rencontrer en tous lieux les industriels, politiques, administratifs, magistrats, policiers et gendarmes, la presse, comme les victimes. Les pays scandinaves et anglo-saxons sont la référence. La trilogie du bien-faire apparait d’évidence : limitation généralisée de la vitesse ; ceinture de sécurité et port du casque sont les antidotes au mal. Il reste à persuader nos compatriotes à partager ces vérités de bon sens. Leur incompréhension de ces mesures, donc leur rejet, conduiraient à prolonger l’hécatombe. Il nous faut d’abord nous plonger dans le passé qui enseigne comment procéder devant un tel obstacle.
Des auteurs apparaissent : Gustave Le Bon, dans sa Psychologie des foules (1895), comme Serge Tchakhotine, dans Le viol des foules par la propagande politique (1939), livrent leur compréhension de la persuasion humaine. Il nous reste à l’adapter à notre sujet, compte tenu des fondamentaux en la matière : prendre le temps d’expliquer ; respecter les opinions contraires ; ne rien affirmer qui ne soit prouvé ; procéder par tests sur des échantillons témoins ; etc. De nombreuses campagnes d’information justifient les mesures envisagées… Quand les études d’opinion révèlent que l’on approche du seuil des quelques pour cents d’irréductibles, alors, mais seulement alors, s’annonce la règlementation qui parachève le travail pédagogique qui l’a précédé. C’est ainsi qu’en 1973, Pierre Messmer, lors d’une conférence de presse à Matignon, annonce les trois mesures phares qui vont sonner la régression de l’insécurité routière en France : vitesse maximale sur les axes majeurs (120 km/h sur autoroutes) ; port de la ceinture de sécurité et port du casque. Dès lors, il ne restera plus qu’à accompagner cette politique par leur bonne application, confortée par de nouvelles dispositions prises dans les divers domaines de la conduite sur route (formation des conducteurs ; mises en garde contre l’alcoolisme et autres produits qui réduisent la vigilance ; amélioration des véhicules, des voies et de la signalisation ; etc.) Cinquante ans après les mesures prises, on mesure le chemin parcouru : de 17 000 morts (à multiplier par dix pour le nombre de blessés), le chiffre est maintenant réduit à moins de 3 000, compte tenu de l’accroissement considérable du transport sur route. Bel exemple d’une politique bien comprise, et correctement poursuivie au cours d’un demi-siècle !
… puis, à notre esprit et notre corps.
Commence alors une nouvelle étape, suivant ce fil d’Ariane de la recherche continue du bien commun. Devant les résultats probants des actions de persuasion sociale menées précédemment, la ministre de la santé en exercice m’appelle pour mettre en place l’équivalent en matière de prévention des comportements préjudiciables de nos compatriotes pour leur santé. Un mal non maitrisé ronge les nôtres : le tabagisme. Quatre-vingt-quinze pour cent des cancers des poumons ont cette origine. Des dizaines de milliers de morts en résultent. Des médecins prônent son abstinence depuis des décennies. Ils sont peu entendus. D’où l’initiative de reproduire ce qui a été fait en matière de sécurité routière pour lutter contre cette fâcheuse dérive comportementale. Dirigeant le Comité français d’éducation pour la santé (CFES, aujourd’hui « Santé publique France », après moult avatars) à partir de 1976, l’application des étapes propres à toute stratégie de persuasion sociale porte ses effets. Le professeur Pierre Denoix, directeur général de la santé (précepteur du centre anticancéreux de Villejuif et l’un des premiers cancérologues mondiaux), approuve ce qui est fait, comme les représentants des organismes de santé présents au sein du conseil d’administration du CFES. Il propose d’élargir l’application de cette communication sociale à d’autres sujets, ainsi au profit du « médecin généraliste : pivot du système de santé. » La spécificité de la dissuasion tabagiste conduit à des campagnes de prise de conscience et pédagogique », comme à des gestes simples, d’une bonne efficacité : boire un verre d’eau ou « respirer à pleins poumons » quand l’envie nous vient. Jusqu’à pratiquer la méthode « infaillible » du Général de Gaulle qui annonce un jour à ses proches qu’il a cessé de fumer. Pris au piège, il ne peut qu’obéir à sa propre injonction !
La recherche, aiguillon du progrès universel.
Au commencement était l’action, conviennent les sages. Puis, vient le précieux temps de la réflexion et de la recherche. Directeur de recherche à l’École nationale des Ponts et Chaussées, je mets par écrit l’enseignement retiré des expériences vécues en matière de communication sociale (dite aussi communication publique, ou plus explicitement encore, communication d’intérêt général). Une suite de publications portent sur différentes spécificités du sujet, pour beaucoup publiées par la Documentation française, éditeur reconnu en matière de bien commun. Ainsi, Communication publique ; Pratiques des campagnes d’information ; Les lobbies et le pouvoir ; Problèmes politiques et sociaux ; La communication sociale (Traduit en arabe) ; La communication politique ; Le prix de la vie humaine. Le coût des maux sociaux… ainsi que L’État annonceur. Techniques, doctrine et morale de la communication sociale (Éditions d’Organisation). Dans le même temps, pour couvrir le champ complet de la communication qui touche au bien commun, je produis La communication gouvernementale et le Livre blanc sur la communication sociale (Éditions ICOS). Puis La persuasion sociale. Les pouvoirs d’une vraie communication sociale (Éditions ENPC). Ces dernières publications font suite à la rencontre des plus grands experts en la matière, en particulier lors d’importantes manifestations internationales (Palais du Luxembourg ; ENPC et centres de recherche). Il serait illusoire de résumer tant soit peu l’enseignement qui peut être retiré de ces écrits, pour l’essentiel appuyés sur des opérations vécues sur le terrain, scientifiquement évaluées, puis conceptualisées. On se reportera avec profit aux articles d’actualité qui traitent de ces notions. Ainsi, les communiqués diffusés sur le site de République exemplaire (republique-exemplaire.eu) : « Gilets jaunes, et communication gouvernementale » (C 44) ; « Président, comment choisir le meilleur ? » (C 46). Tout responsable ne doit décider qu’à partir de sa connaissance du passé. Nous y reviendrons.
De la matière, nait la vie. De la vie, nait l’éthique.

Cette toile a été commandée par Michel Le Net à Michèle Taupin, artiste peintre, de renommée internationale, pour représenter L’Éthique universelle. À cet effet, l’artiste a retenu une belle femme, de taille majestueuse, au regard levé vers l’avenir, suivant une architecture qui symbolise la force et la stabilité. Elle pose sa main sur le cercle, allégorie de la perfection. Une ancre insérée affirme la résolution à ne pas s’écarter des principes fondamentaux du concept. L’ensemble de l’œuvre dégage la plénitude et l’exigence qui signent l’adhésion à l’éthique universelle.
Une vague éthique frappe l’Europe au début des années 1980. Elle place l’éthique des affaires au cœur des préoccupations des dirigeants. Suivant les vérités assénées par les penseurs éveillés depuis trois mille ans sur le sujet (ainsi, pour Socrate : « À terme, c’est le malheur qui condamne la mauvaise orientation des consciences. » ), l’éthique des affaires s’impose sous la pression des États-uniens comme la nouvelle vérité révélée. Pour y voir clair entre le bien incontestable qu’apporte la novation, et de possibles interprétations éloignées de la pureté intrinsèque de la démarche, j’organise en 1989 au Palais du Luxembourg, une rencontre internationale pour traiter du dilemme. Pour Michel Rocard, premier ministre qui ouvre le symposium, : « Le souci éthique est au cœur des décisions publiques et privées… J’y vois un repère, une référence pour les consciences humaine. L’éthique et l’efficacité sont complémentaires. L’élaboration des règles du jeu est clairement à l’ordre du jour. » La messe est dite, l’application suivra. Sous réserve de ne pas parler au vent… (expression chère aux auteurs classiques grecs).
Est alors créé le Cercle d’Éthique des Affaires (CEA-aujourd’hui dirigé par Dominique Lamoureux, haut et talentueux dirigeant d’entreprise) pour éclairer les acteurs économiques dans leur production du bien commun. L’état des lieux est alors lugubre. La France est déclassée par rapport aux autres nations dites développées : USA, Japon, Allemagne… sur des aspects de bonne gouvernance qu’elle traine depuis des lustres (omniprésence du droit-providence ; imperméabilité à l’innovation ; empathie inexistante…). J’avance l’équation ramassée : « Éthique = Déontologie + Performance ». Il reste à construire une éthique à la française, qui prenne en compte nos spécificités culturelles. Nous devons nous ouvrir plus à fond sur la psychologie du comportement humain et les valeurs et finalités de l’entreprise.
« Ne sais-tu pas, mon fils, combien peu de sagesse gouverne le monde ? » (sentence ancienne)
Rappelons, s’il en était besoin, parce que la confusion est souvent grande en la matière, que l’éthique traite des actes (alors que la morale relève des mots). La vérité d’un être se lit davantage dans ses actes (la pratique), que dans ses paroles (la théorie). Il en est de même pour un État. « Il faut des règles au jeu de la vie !» est le leitmotiv de tous les « éveillés du monde ». Les premiers codes apparaissent en Mésopotamie il y a 6 000 ans, au plus loin de notre pensée écrite (Uruk-Agina ; Hammourabi). Puis se multiplient tout au long du temps qui passe. De premiers penseurs formalisent le concept éthique : Socrate et ses proches, les Stoïciens (Sénèque ; Marc-Aurèle ; Épictète…). Rien de nouveau depuis, sinon une pratique laborieuse… Chaque jour nous livre les mille turpitudes d’un monde sans foi ni lois, au sein duquel l’exemplarité, vertu suprême du bon dirigeant (le souverain bien) relève d’une grande naïveté, ou d’une utopie irraisonnée… Mais les solutions existent, au sein desquelles l’éthique, fonction la plus difficile à exercer au monde, doit être le moteur du progrès universel ! *
Pour demain ?
L’innovation engendre le progrès, répétons-nous. Le contraire de la passivité. Ainsi, suivant la Légende du colibri, chacun d’entre-nous possède une parcelle de pouvoir qui lui permet de corriger à sa mesure les malfaisances du monde « Si tous les gars du monde … ». Souvenons-nous de la place qu’occupait la France il y a quelques siècles ! **
C’est dans cette voie de recherche qu’apparaissent des percées qui peuvent être novatrices. Ainsi, sont présentés en Annexes 1 et 2 :
1 – Le Concept d’immanence de la pulsion dynamique de la nature humaine.
Il s’agit d’un concept explicatif de l’essence de notre nature profonde, qui s’appuie sur l’expansion de l’univers. L’origine du monde est en nous. Nos comportements en sont le reflet.
2 – La Quête du Graal par les Chevaliers de la Table Ronde.
dont la légende arthurienne nous a comblés ces derniers siècles. Toujours la pulsion vers le « plus » … et « mieux » ? On touche là aux notions éternelles du sens de la vie, éternelle question ! Il s’agit là d’une plongée mythique dans l’univers des contes et légendes, à retenir parmi les éléments structurants de la nature humaine.
Une synthèse par le Tricéphale !
Memento judicari ! (Souviens-toi que tu seras jugé !) L’aperçu qui suit prolonge la présentation historique du Tricéphale qui en est faite dans « L’essence d’une sculpture » supra. Il dessine la trame des évènements qui conduisent à la création de la présente œuvre.
Il y a deux mille cinq cents ans, avons-nous dit, les Grecs portent la sagesse au fait des qualités humaines. Ils rattachent leur présence aux racines de leur propre vie. Ils sentent que leur existence remonte aux profondeurs de leur histoire. Nos pères d’alors comprennent que leur destinée prolonge les actes des pères de leurs pères, eux-mêmes façonnés par leurs prédécesseurs. Par projection, leur « aujourd’hui » façonne leur « demain ». Et leur demain leur après-demain. Comme le battement d’ailes de l’oiseau de nos champs peut générer une tempête à l’extrémité de la planète, chacune de nos vies peut induire des effets comparables. L’Homme recèle en lui toute la beauté, comme la sévérité du monde ! Il est acteur de l’état universel.
Une certaine sérénité règne sur les cités grecques. On dit des citoyens qu’ils semblent plutôt épanouis. La couleur rayonne partout, y compris sur les statues. Davantage qu’en d’autres époques, ils ressentent une forme de contentement de vie que leurs artistes contemporains savent refléter. Cependant, depuis plusieurs dizaines de milliers d’années, des formes variées se succèdent sur les murs des grottes préhistoriques. L’interprétation que veulent en donner les acteurs devient plus explicite. La simple reproduction de la nature et de ses composantes laisse place au message que contient l’œuvre. L’art devient une synthèse. Elle est une contraction allégorique de l’idée que souhaite faire partager son créateur. Au premier regard, elle exprime son contenu. Nul besoin d’être Champollion pour interpréter ce qu’elle sous-tend. Phidias et Michel-Ange n’appellent pas de guide pour les comprendre. La limpidité et la beauté de leurs sculptures suffisent. L’image qui n’exprime rien ne peut être belle.
C’est dans cette veine que s’inscrit le Tricéphale. Chaque face (voir supra « Interprétation de l’œuvre ») exprime les conditions de L’Homme attendu. Sans le respect a minima des normes avancées, tout progrès est illusoire. Que le bon sens, fondement de la sagesse historique, reprenne ses droits !
Terminons notre échange par une bouffée d’oxygène, en ces temps agités, comme ils l’ont d’ailleurs toujours été depuis que le monde est monde ! Thomas More (1477-1535), pédagogue, diplomate, écrivain et homme politique du plus haut rang sous Henri VIII, est proclamé « Patron des Dirigeants et des Hommes de Gouvernement » par Jean-Paul II en l’an 2000. Il symbolise la primauté de la vérité sur le pouvoir. Croyants et non, l’admettent comme exemple de la cohérence morale. Sa figure est source d’inspiration pour une politique dont la fin suprême est le service de la personne humaine. En 1515, il écrit L’Utopie (1515), pays imaginaire où des gens heureux seraient gouvernés par un souverain bien… En cinq siècles, nous en sommes-nous approchés ?
Présentation de Michel Le Net sur Wikimonde Michel Le Net
« Si nous sommes sages, nous nous approprions, dans les ouvrages que nous lisons, tout ce qu’ils renferment de principes purs, sains, tout ce qui tient à la vérité ; et le reste, nous passons par-dessus ! »
Saint Basile-Dissertations de Maxime de Tyr, 1802.
* Voir ouvrages, autres publications et revue Entreprise Éthique (1997-2012) du CEA. Aussi : « La mobilisation éthique en affaires. L’influence de l’éthique des affaires sur la compétitivité de l’entreprise », de l’auteur dans Regards (Économica), numéro spécial, septembre 1992.
** Dans les années 1650, le monde était, lisait, pensait français… Depuis cette époque, et comparés aux nations proches, nous devrions être aujourd’hui 150 millions ! Alors, les deux dernières guerres n’auraient pas eu lieu…