Essence d’une sculpture

Le Tricéphale

ou L’Homme attendu !1

Memento judicari ! *

*Tu seras jugé !

Michel Le Net

Il y a deux mille ans, les Romains croient en de multiples dieux. Chacun règne sur un domaine particulier. Vénus est déesse de la beauté et de l’amour. Minerve, de la sagesse et de l’intelligence. Neptune, dieu de la mer et des océans… Parmi ces héros figure Janus, au premier rang de la hiérarchie religieuse romaine. Il est bifrons, c’est-à-dire qu’il a deux têtes. L’une regarde derrière lui, l’autre devant. Vers le passé, et vers l’avenir. Pour les Grecs qui le vénéraient aussi, il est le premier dieu, sorti du néant ou du tout, pour générer la civilisation. On le dit honnête et bon. Le pays est prospère. Son règne est l’âge d’or de l’époque. On ne manque de rien. Il est le Dieu-roi.

Dans des temps encore plus anciens, de l’ordre de trois mille ans, on voit apparaître des représentations de trifrons, ou tricéphales, soit des Janus à trois têtes. L’Antiquité s’inspire de l’idée, et lui donne une interprétation mythologique. Le modèle se retrouve en Inde et chez les Celtes. Il foisonne ces derniers siècles dans notre espace religieux.

À l’origine, les artistes le représentent en trois corps accolés. Puis en un seul corps à trois têtes. Il a deux yeux, aussi trois, mais le plus souvent quatre. On l’interprète différemment selon les périodes. De la simple sculpture ornementale, à une représentation voulue. Ainsi les Celtes – nos ancêtres –, expliquent sa trilogie par le sommeil, le rêve et l’éveil, reprenant les trois périodes de la cosmologie ancestrale : le ciel, l’air et la terre. On retrouve la symbolique du triskèle, de forte présence en Bretagne. Il signe le déroulé de la vie : le lever, le zénith et le coucher. Aussi, la fascination de nos anciens pour la nature, où l’arbre sacré nous appelle à vivre simultanément les trois composantes de la vie. Les racines nous lient au passé. Le tronc supporte le temps présent. Les branches s’élancent vers le ciel, en aspirent l’énergie, et façonnent son devenir. L’art imite la nature, qui est sa source originelle.

Aujourd’hui, revenant sur terre en quelque sorte, qu’en est-il ? L’humeur du temps remet l’allégorie d’actualité. Notre interprétation s’inscrit dans la recherche du dirigeant auquel on rêve : L’homme attendu ! au sens de l’identité humaine responsable. Celui que nous aimerions avoir à la tête du pays ou de la commune, dans notre imaginaire hors limites, comme chef d’entreprise, juge ou avocat, lors des difficultés de la vie. On reprend les attributs du pouvoir décliné en ses trois composantes : l’analyse, la synthèse, la projection. Le Passé enseigne. Le Présent instruit. Le Futur anticipe.

Notre référent a sous les yeux un « miroir de sagesse » qui l’interroge à tout moment sur le bien-fondé de ses décisions. Pour Socrate, Épictète… pour les plus grands esprits que notre monde ait jamais connus, toute vie doit être soumise à un examen permanent : Memento judicari ! * Suivant le principe analogique vincinien, l’acteur devient disciple de l’expérience. Il cherche à comprendre le monde avant d’agir. Il interprète le passé au mode présent. L’un et l’autre s’interpénètrent en une congruence de synthèse. Puis il anticipe les évènements à venir. Visionnaire, il projette son dessein vers le futur. Quand il accède au pouvoir, un buste tricéphale lui est offert. La science est cachée sous l’art. On admire l’œuvre pédagogique, autant qu’elle nous émeut. Comme Michel-Ange avait comme espérance d’atteindre la vérité par la beauté, nous faisons nôtre la même mission. « Pour moi, c’est le Bien qui est Beau, et c’est le Beau que l’on aime ! », affirme Aspasie du temps de Périclès. Rien n’a changé depuis deux millénaires et demi. L’heureux récipiendaire atteint un « π » (plafond d’intelligence) maximal, suivant l’échelle de compétence des décideurs. Mais, bien sûr, l’attention peut généreusement être offerte à chacun d’entre nous, acteurs en quelque domaine que ce soit d’une parcelle de la responsabilité universelle.

« Quel bonheur d’être bien dirigés ! »

Michel Le Net

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1 La figuration de l’œuvre s’applique à l’identique pour les femmes comme pour les hommes.

* Souviens-toi que « Tu seras jugé !», après le Memento mori ! « Tu vas mourir !», de l’antiquité gréco-latine…

NB : L’œuvre est gérée par la Fondation Tricéphale du bien commun.